Avr 8 2008
Avant -première MIPTV : Orange abandonne les télécoms et se mue en groupe de médias
Plusieurs indices concordent depuis quelques jours sur le net, et le MIPTV en est le révélateur : Orange a décidé de passer le cap et de se muer en groupe de médias à la fois diffuseur, producteur et concepteur de formats.
C’est Bakchich qui lève le voile le premier sur cette mutation (qui pourrait faire penser à celle de Vivendi au temps du Web 1.0, mais en moins précipité) attendue pour demain, sous le nom « Inventer une nouvelle expérience de l’audiovisuel ».
En clair, Orange enterre le « télécom » pour devenir un groupe uniquement « télé », fortement orienté vers les médias numériques et la production audiovisuelle. Outre les premiers films de sa filiale Studio 37 et des chaines sur le bouquet Orange ADSL (comme Orange Sports), Orange mise sur trois axes :
- sortir des canaux télécoms afin de devenir « Content Everywhere », et ne pas hésiter à investir de nouveaux territoires comme le mobile (avec le DVB-H, la TNT nomade) et le satellite (chasse gardée de Vivendi), au risque de voir les accords avec Canal Plus se tendre ;
- investir dans la production via des structures adhoc (comme Studio 37) ou dans les droits de diffusion (football), afin de s’arroger des exclusivités et nourrir tous les écrans du Groupe ;
- passer des accords stratégiques avec des acteurs du marché comme Warner Bros ou Fidélité, et ainsi lancer des chaines pluri-écrans (télé, mobile, ordinateur) comme Orange cinema séries ou VOD.
Pour boucler la boucle, on pouvait se demander il y a peu pourquoi Orange lachait PagesJaunes et ses participations dans TDF, mais gardait Viaccess (décodeurs numériques) et Globecast (diffusion satellite) : les choses sont désormais claires, le satellite est la « nouvelle frontière » de la marque, qui va peut-être ainsi pouvoir accélérer le déploiement d’offres sur les pays où elle est présente.
Orange n’est pas le premier acteur du marché à vouloir se lancer dans une stratégie « multi-content / multi-devices » : Vivendi, Time Warner… ont essayé avant, en vain. Ce qui est intéressant, c’est le sens pris par toutes les pièces du puzzle amassées depuis 2002 (des contenus à GOA jusqu’à la diffusion, et maintenant la prise de position dans la production). A l’époque d’ailleurs des rapprochements Wanadoo-francetélévisions et des prises de participation dans TPS avaient été envisagées, en vain.
Encore plus intéressant, le chemin parcouru par un « acteur historique » des PTT vers une stratégie tout numérique : nous sommes face à un vrai cas d’école de mutation de culture d’entreprise. A mon sens, le timing est bon, mais est ce que les usages et le marché sont prêts ?
La consommation de médias explose, mais c’est la consommation « asynchrone » qui fait de plus en plus sens aujourd’hui. La vraie révolution ne sera pas d’être présent sur plusieurs canaux en même temps pour y voir la même chose, mais de pouvoir proposer des contenus adaptés (selon les circonstances d’usages et les supports) de manière synchronisée : par exemple, commencer un film sur la télé, continuer en « time-shift » sur son mobile, proposer des contenus dont les caractéristiques et l’intéractivité peuvent différer d’un écran à un autre…
Dernière pierre à l’édifice : les communautés et le UGC. Quelle place pour cette expression spontanée ? La stratégie industrielle proposée ici relève d’un opérateur de type TF1 du numérique (en termes de force de frappe), mais comment va-t-elle s’interfacer avec la vitalité du web, voire l’enrichir ? Et le veut-elle vraiment ? Peut-être qu’un accord avec un YouTube, un Eyeka ou un DailyMotion (comme Neuf) pourrait-être le début d’une réponse, mais celle-ci n’est que partielle, car périphérique au coeur du sujet.
PS : cet article n’est pas un « publi-reportage » mais une analyse personnelle. Et je ne cache pas travailler pour Orange 😉
PPS : je vous conseille la lecture de cet article qui vous permettra de bien saisir tous les enjeux des évolutions autour de la télé et du numérique. Sans oublier celui-ci sur les medias 2.0.
stan
avril 8, 2008 @ 7:05
Il est bien ce blog ….
Bon c’est intéressant je dois l’avouer !!!
Et le porno dans tout ça ? (moi je dis ça, c’est du contenu tout de même)
Andry
avril 8, 2008 @ 7:06
merci pour le link Stan et Dam!
Dam, excellente votre analyse personnelle complète et détaillée, avec quelques insights « orange-inside ».
Concernant Content Everywhere, j’avais réalisé une analyse détaillée par ici: http://monblogmarketing.blogspot.com/2008/01/strategie-de-contenus-orange-content.html
dam
avril 9, 2008 @ 8:34
Merci Andry ! Effectivement je souscris à ton analyse sur les attentes des consommateurs. Ce qui est frappant, c’est la mise en retrait des « tuyaux » (avoir plus de débit, la fibre, etc) pour mettre en avant le contenu de ceux-ci comme accroche et facteur de rétention. Preuve s’il en est que nous entrons dans une ère de saturation des réseaux pour se déporter vers les services à valeur ajoutée, et les nouveaux médias numériques sont une pierre angulaire de l’ensemble.
pierrot
avril 9, 2008 @ 10:05
si ça ça n’est pas un titre polémique 😉 On pourrait renommer ton analyse « Orange cache ses tuyaux derrière ses écrans » …
Si on regarde avec un peu de recul les expériences – douloureuses – de Vivendi et TW dans leurs tentatives de mutation, on peut en effet se dire qu’Orange s’engage dans une voie des plus risquées. Mais comme tu le précises, c’est sans doute le bon moment pour le faire, pas trop tôt, et avant qu’il ne soit trop tard (étant donné la dynamique du marché, mieux vaut décrocher la prime au premier entrant).
La grande différence avec Vivendi et TW, c’est le parcours : nous avons ici un acteur du monde des réseaux et de l’infrastructure, qui a progressivement évolué sur le marché des services, puis des contenus, ces trois éléments étant devenus indissociables pour satisfaire la demande des utilisateurs finaux. Vivendi et TW, eux, venaient au contraire du monde des contenus, et ont voulu évoluer vers les services, et surtout les réseaux, avec les conséquences que l’on connaît … (TW doit encore se doper au Malox pour essayer de digérer AOL)
On retrouve le schéma classique de l’ingénieur qui veut faire du marketing, et du marketeur qui veut faire de la technique : force est de constater que le chemin est beaucoup plus naturel dans un sens que dans l’autre …
Orange est l’ingénieur qui travaille sa mutation en marketeur. Vivendi et TW étaient les marketeurs qui voulaient devenir ingénieurs …
Le risque majeur pour Orange, à mon sens, est de perdre de vue d’où ils viennent, et les fondamentaux grâce auxquels ils sont capables aujourd’hui de proposer du service et des contenus à leurs clients … de devenir marketeur qui à vouloir trop séduire, finit par en oublier les impacts sur l’ingénierie et la production …
D’autant plus que l’assaut d’Orange sur le secteur des médias se fait à coups d’investissements massifs (plus de 200 millions pour le foot, apparemment de l’ordre de 100 millions pour les films et les séries), au risque de créer une méchante surenchère (visiblement mal digérée par Canal, soit dit en passant). Aujourd’hui, les tuyaux sont une manne pour Orange, comme se plaisent à le rappeler les opérateurs alternatifs, mais qu’en sera-t-il demain, quand la régulation et le marché viendront sérieusement attaquer la trésorerie de l’opérateur historique ? (ne nous leurrons pas, ça finira pas arriver) Et comment Orange pourra-t-il alors rester dans la course, dans une bulle (n’ayons pas peur des mots 😉 ) qu’il aura lui même contribué à faire enfler ?
Tout ceci promet en tous cas quelques semestres d’actualité passionnantes dans les secteurs télécoms et média.
dam
avril 9, 2008 @ 1:33
Wow Pierrot ça c’est du commentaire ! Concret, documenté, argumenté. Et tu as la palme du commentaire le plus long 😉
Oui tu as vu juste concernant la grande différence entre Orange et les autres : ils se sont cassés les dents sur ce qui est le plus difficile à établir, les réseaux. Et l’offre proposée par Orange va dans le sens d’un « Canal Plus du numérique » : mes propres décodeurs donnant accès à mes réseaux via un abonnement garantissant exclusivités et qualité de service.
Devenir trop marketing… mais finalement est ce que ce n’est pas ce que veulent les clients? Regarde Apple : ce sont de beaux objets technologiques, mais vécus avant tout pour « l’expérience » (ça y est, le mot est lâché !) de simplicité et de confort qu’ils procurent. Effacer la technologie derrière ce qui est important pour les clients (qualité de service, service client, nouveaux services rendant la consommation de contenus plus confortable), n’est ce pas l’enjeu aujourd’hui finalement ? Mais, effectivement, en oubliant l’impact sur la technique, on risque de dégrader la promesse marketing (comme bien souvent)… Wait & see.
Quant à la bulle (oui, disons le ! 😉 ) créée en termes d’investissements, il est clair qu’elle va pénaliser certains entrants, mais va provoquer une course d’autant plus effrénée que la numérisation des contenus permet à beaucoup de monde de jouer (par exemple, une boite de prod comme Endemol pourrait proposer sa chaine de télé avec ses contenus sur un Joost, et là on contourne Orange ou Neuf, d’où la primauté des « box » comme barrière à l’entrée du salon à ces outsiders).
Bref… tout cela n’est que le commencement… (top générique)
PS : le blog c’est comme la presse, faut accrocher le regard coco 🙂
stan
avril 10, 2008 @ 7:27
http://www.liberation.fr/actualite/ecrans/320321.FR.php
Interessant
http://www.liberation.fr/actualite/ecrans/320320.FR.php
Encore plus interessant
Visiblement, Canal+ n’aime plus Orange. J’attend la réaction de TF1 !
pierrot
avril 10, 2008 @ 7:47
Sans compter France Television que le gouvernement veut transformer en media convergent « a la Orange » …
http://www.latribune.fr/info/ID456B1760E435B2C8C1257426003E8EA6
Bon, eux ils appellent ca « global media », mais grosse modo, on revient toujours a la meme chose : arroser tous les ecrans via toutes les technos …